Mémoires de l’invisible
À la différence des éditions précédentes où nous imposions un thème pour le projet d’intégration, nous avons choisi cette année de laisser le champ ouvert à différentes avenues. Or, en toute fin de parcours, force est de constater qu’il ressort des portfolios un intérêt certain pour des thèmes qui n’ont eu de cesse d’inspirer la création photographique depuis ses origines, soit la mémoire, le temps et la lumière.
Les photomontages de Carine Du Sablon nous présentent la mémoire comme une sédimentation de souvenirs. Son projet semble agir comme une fouille archéologique dans un passé dense façonné de rencontres et de lieux marquants. Pour Mégane David, l’histoire de Montréal se lit dans son patrimoine bâti. Ses images de monuments architecturaux pointent vers des évènements qui se cachent sous la pierre, le verre et l’acier. Par ses anachronismes, le travail de documenteur de Nicolas Trubetskoy brouille la valeur historique de la photographie tout en nous invitant à réfléchir à son poids de réel.
Les travaux de Maggie Chan nous mènent à la rencontre d’une nature légère et effervescente. Son ensemble photographique parle de contacts furtifs et de sensations douces et rayonnantes. Ces images apparaissent tout en contraste avec l’univers occulte de Xavier Charron dans lequel des gens, des lieux et des objets insolites se révèlent à la nuit. Dans une perspective plus expérimentale, les œuvres de Félix Fréchette et Jun Lin Mo explorent le degré zéro de la photographie, soit son procédé d’enregistrement de la substance photonique. Leurs images abstraites montrent à voir des jeux colorés de diffraction et de réfraction de la lumière qui oscillent entre des évocations du microcosme ou du macrocosme.
En cette époque où les frontières entre les espaces public et privé apparaissent de plus en plus ténues, Keniel Boucher interroge cette pression pour la visibilité sociale. Sa séquence photographique parle d’états limite et de résistance. Pour Angélie Côté, la qualité visuelle de notre présence se révèle insaisissable dans la pensée de celles et ceux qui nous regardent. Ses autoportraits explorent cette dissémination de l’image de soi. Par sa mise en récit du parcours introspectif d’une jeune femme devant la vastitude du ciel, les horizons panachés d’Umama Ahmed semblent souffler un vent de liberté.
La beauté réside aussi dans ces instants scintillants qui tissent le quotidien. Le journal photographique de Marie-Danielle Guay parle de café, de chat et de balades en forêt et d’une volonté de saisir le temps qui passe. Les séquences d’images d’Hilary Roy agissent comme un hommage à cette intimité souvent cachée de la vie amoureuse. Elle y met en scène des petits moments lumineux faits de regards échangés et de mains enlacées.
En somme, l’ensemble de ces œuvres témoignent d’un engagement soutenu à comprendre les différents régimes de visibilité qui conditionnent le rapport à soi et au monde. Avec brio et fraîcheur, nos jeunes artistes ont su insuffler un caractère vivement poétique à leur exploration photographique.
Christine Desrochers