Nous parlons sans cesse du temps. Il se rappelle à nous constamment. La crainte de le perdre ou encore d’en manquer nous tyrannise au quotidien. Alors que le repli pandémique nous avait permis pendant quelques mois de faire l’expérience rarissime de se couler dans le temps, nous voici de retour dans une course folle contre la montre et ceci tant à l’échelle individuelle que planétaire. Comment retrouver le temps perdu ? Il serait bien difficile dans une perspective artistique comme la nôtre, d’évoquer cette question sans penser à la suite romanesque de Proust. D’autant plus que le thème de notre exposition fait écho au titre du dernier tome de cette œuvre colossale si célèbre. Aussi, tout comme l’acte d’écrire dans l’imaginaire proustien, la photographie rend possibles la remémoration et la présentification du passé. L’art permet de formidables télescopages dans le temps et l’espace.
C’est donc sous cet horizon thématique que nos jeunes artistes ont élaboré leurs ensembles photographiques. Les réminiscences de Rrezon Rexhepi semblent surgir d’une étendue lointaine et suspendue. Des souvenirs narrés en mots et en images octroient aux sujets portraiturés le plaisir de reprendre possession d’un petit fragment de leur passé. Ces affinités électives entre mémoire et photographie ne sont plus à démontrer. Pour Juliette Turcotte et Jade Lapointe, il s’agit d’arrêter ce temps qui se défile et préserver sur papier les traces de lieux et de gens essentiels à leur bonheur. La mise en récit d’une quête de soi façonne la puissance poétique de la constellation d’images de Marion Laberge. On y voit des mots et des signes visuels captés au détour des rues qui semblent nous parler d’un temps autobiographique passé et à venir. Prises sous une lumière du jour plutôt crue, les photographies de Yacine Caiserman scrutent les regards tendus des passants. Nous y entendons presque leurs ruminations sur un temps qui oppresse. En contrepartie, les tableaux colorés d’Élise Arantzabe nous transportent vers des lieux où l’attente et l’arrêt évoquent ce pouvoir propre à la nuit de suspendre le cours des choses. Dans une perspective sociale, l’installation de Rodney Ayafor étudie les réactions à l’égard de notre thème et met en relief les méandres des interactions sociales tout comme ses effets de brouillage qui ralentissent la communication et l’interprétation. Qu’il soit poétique, psychologique ou sociologique, le temps façonne l’existence humaine et à tous âges, constitue notre grande obsession. Nos jeunes photographes ont su explorer avec brio ce fantasme partagé de le prendre et le déjouer.
Christine Desrochers